Le Saint-Sépulcre de Chaource, ou Mise au Tombeau, est incontestablement l’une des œuvres les plus remarquables de Champagne méridionale du XVIe siècle. Elle a donné le nom à un maître, le Maître de Chaource, auteur de sculptures dans la région considérées comme des chefs-d’oeuvre du début du XVIe siècle (comme la Sainte Marthe de Sainte-Madeleine de Troyes ou encore l’Ecce Homo de la cathédrale de Troyes).
Le Saint Sépulcre est placé dans une petite crypte voûtée en berceau et en partie enterrée, entièrement située au nord du sanctuaire de l’église. Les murs sont entièrement peints.
La mise au tombeau, c’est tout d’abord le décor monumental de la chapelle sépulcrale d’un seigneur local et de son épouse : Nicolas de Monstier et Jacqueline de Laignes. Une inscription, surmontant les deux donateurs, représentés priants, nous renseigne sur la date et les commanditaires de cette chapelle :
Nicollas de Mo(n)stier, escuyer, en son vivant seigne(u)r de
Chesley, Fontaines et Cussangey e(n) partie, capitaine de
Chaource et damoiselle Jacqueline de Laignes , sa fem(m)e
dame de La Jaisse, Montigny, La Coere, la Petite Brosse,
Bruchon, Pichancourt et Sally firent faire ce p(rese)nt cepulcre
lan mil cinq cens et qui(n)ze et gite led(it) escuyer sous
le crucifix de ceent. Pries Dieu pour eulx.
La date de la réalisation est donc connue : 1515
Nicolas de Monstier et Jacqueline de Laignes sont représentés sous la forme de deux statues priantes le long du mur sud de la crypte, agenouillés devant un prie-Dieu orné de leurs armoiries. Leur statue serait posée sur leur tombeau. Nicolas est représenté en chevalier, en cotte d’armes, l’épée au côté. Il tourne le dos à son épouse, agenouillée derrière lui, et de plus petite taille. L’inscription nous apprend qu’il est à cette date décédé et que son corps repose sous le crucifix. Jacqueline est encore vivante en 1527, date à laquelle elle rédige son testament dans lequel elle déclare vouloir reposer aux côtés de son premier époux, Nicolas de Monstier. Elle fonde également une messe dans la chapelle. Elle est représentée en veuve. Leurs effigies ont-elle été réalisées à la suite de ce testament, en 1527, ou sont-elles contemporaines du Sépulcre ? Jacqueline de Laignes aurait-elle fait appel au « Maître de Chaource » plus de douze ans plus tard pour qu’il réalise ces priants ? C’est ce que pense Francis Salet, contrairement à l’ensemble des autres auteurs.
Les commanditaires se rappellent aux yeux de tous en ayant fait mettre leurs armoiries sur le sarcophage du Christ, de part et d’autre d’un ange portant un phylactère. A gauche les armes de Nicolas de Monstier, d’azur à trois château d’or, et à droite, celles de Jacqueline de Laignes, d’azur à trois fasces d’or au chef endenté de même.
La porte de la chapelle franchie, après avoir descendu deux marches, la mise au tombeau nous fait face. Le cadre impose intimité et recueillement, mais à peine entrés, des ombres nous surprennent à gauche et à droite, trois soldats spectateurs de la scène, deux d’entre eux debout, le troisième assis.
Les trois gardes fixent la scène de la mise au tombeau.
Le Christ est étendu au-dessus du sarcophage sur le linceul tenu à gauche par Joseph d’Arimathie et à droite par Nicodème. Le premier porte un turban, le second un chapeau de pèlerin, une grosse bourse à la ceinture. La Vierge se tient à la hauteur de la tête du Christ, saint Jean juste derrière elle, la soutenant discrètement. Les trois saintes femmes, Marie-Salomé, Marie-Madeleine et Marie-Cléophas, viennent ensuite côte à côte, légèrement en retrait.
Marie est penchée avec une digne retenue au-dessus du visage de son fils, les mains jointes. Le capuchon de son manteau et les jeux de la lumière qui filtre des petites fenêtres rendent plus intense l’émotion qu’elle dégage. Elle est plongée dans une douloureuse contemplation de ce visage qui porte encore sur le front les stigmates laissés par la couronne d’épines.
Les traits du Christ sont graves et sereins, en harmonie avec un corps qui, malgré une certaine rigidité cadavérique, semble détendu et relâché.
Le regard de Jean, par-dessus l’épaule de la Vierge, semble dans le vide, projetant ses pensées dans l’avenir et la lourde tâche qu’il va devoir accomplir.
Marie-Madeleine est au centre des trois saintes femmes, un peu en avant des deux autres ; elle tient le vase aux parfums avec lequel elle devait embaumer le corps du Christ. A droite, Marie-Cléophas porte la couronne d’épines qui vient d’être retirée de la tête du Christ.
La composition de l’ensemble est simple. Elle exprime une unité des sept personnages dans les sentiments, une même douleur ressentie et contenue devant le corps du christ. Elle donne l’impression d’une suspension de l’action dans le temps, comme s’il s’était arrêté juste avant que le corps du Christ ne soit enseveli, offrant un ultime instant de son passage sur Terre, en tant qu’Homme, pour une dernière contemplation et un dernier recueillement.
Cette scène n’existe pas dans les écritures. Que ce soit dans les quatre évangiles ou même dans l’évangile apocryphe de Nicodème, c’est Joseph qui était allé réclamer le corps de Jésus à Caïphe, l’avait dépendu de la Croix, porté dans le tombeau qu’il s’était fait faire pour lui-même, enroulé dans un linceul et enseveli. Puis, sortant du tombeau, il en avait fermé l’entrée en roulant un rocher. C’est ainsi qu’on lui réserve une place importante dans la mise au tombeau, à la tête du Christ. Seul saint Jean indique qu’il fut aidé par Nicodème. La présence de Marie, Jean, et des trois saintes femmes est purement imaginaire et symbolique, tout comme la scène de la Déploration ou de la Vierge de Pitié dont on trouve de nombreux exemples dans la sculpture champenoise.
Née dans l’iconographie dès le IVe siècle, la Mise au Tombeau s’est popularisée en Occident avec le retour des Croisades et la prédication de saint François d’Assise et des Franciscains. Le thème se développe d’abord dans l’enluminure et la peinture murale avant de se trouver transposé dans les grandes scènes sculptées des tympans d’édifices gothiques. Les sculptures de grande taille n’apparaissent qu’au milieu du XIVe siècle. Elles vont alors se multiplier au XVe et XVIe siècle et nous offrir les groupes les plus impressionnants. La mise au tombeau de Chaource est, selon les spécialistes, l’un des exemplaires les plus remarquables de cette époque.
Bibliographie
– Raymond Koechlin et Jean-J. Marquet de Vasselot, La sculpture à Troyes et dans la Champagne méridionale au seizième siècle, Paris, 1900, p.103-104.
– Francis Salet, « L’église de Chaource », Congrès Archéologique de Reims, CXIIIe session, 1955, Troyes, Orléans, 1957, en particulier p.361-366.
– Michel Martin, La statuaire de la Mise au tombeau du Christ, Paris, Picard, 1997.
Les Saintes Écritures, la Bible